Conférences

La mélodie, chemin de la musique

LA MELODIE, CHEMIN DE LA MUSIQUE

Par mélodie, il faut entendre ce qu’on appelle « l’air », qu’il soit vocal ou instrumental. La musique, c’est une suite de sons dans le temps, c’est l’art de l’enchaînement. Le relié, c’est ce à quoi aspire le cœur humain, le petit Mozart cherchant sur son clavier et répondant à son père : « Je mets ensemble les sons qui s’aiment. »

Ce qui fait l’ identité de la musique avec la vie, en même temps que son intensité,  c’est qu’elle va vers un futur tout en étant totalement présente. Comme son nom l’indique, elle est l’art de toutes les Muses, les 9 filles de Zeus. Comme vous le savez sans doute, elle est constituée de trois éléments essentiels : le rythme, la mélodie, l’harmonie.

Le rythme – « Rheo » en grec veut dire couler, s’écouler – c’est, selon Platon, « l’essence du mouvement ordonné. » La mélodie, on va en parler. L’harmonie – « harmonia » veut dire assemblage, juste proportion, unité – c’est la simultanéité. Succession et simultanéité, l’énigme même du temps. Il faut ajouter bien sûr l’intensité (nuances) et le timbre (les couleurs).

Ce qui caractérise la musique, il faut bien le considérer, ce n’est pas tant les sons que les rapports sonores c’est-à-dire les intervalles. De même en ce qui concerne le langage, ce ne sont pas les lettres mais leurs assemblages en mots, phrases etc.

Les lois de la nature ne sont pas d’abord intellectuelles, bien que chez les Grecs les mathématiques jouent un grand rôle  (Pythagore) dans l’ordre de l’univers. L’être humain est un tout bien énigmatique qui  fait partie d’un tout bien énigmatique. L’homme met les sons dans des rapports tels qu’il peut exprimer la gamme infinie de ses sensations, désirs, sentiments. Ce qui est fascinant dans le son musical, c’est son caractère vibratoire allié à sa profondeur émotionnelle.

I – GENERALITES

Le mot mélodie vient du grec « mélos », arrangement musical, et « oîdé », chant. La mélodie est l’élément central, la substance même de la musique. On dit : » je ne me rappelle plus de l’air » – que reste-t-il alors ?

Une mélodie ne doit pas être fabriquée. Elle doit  naître. Elle est entourée de silence. On peut commencer par improviser. Bien sûr, il y a du rythme. Bien sûr, cette mélodie doit avoir une forme. Ravel disait : « Le plus difficile, c’est de pouvoir composer une belle mélodie, sans harmonie. » La préoccupation intellectuelle – comme quand je me donne « un air » sur une photo – ne doit pas primer mais réguler.

La source, c’est notre affectivité. Je pense personnellement que l’être humain est avant tout une « boule de sentiments », stimulée par la beauté sonore, et aussi par la recherche de la liberté. Le sentiment est à l’opposé du sentimentalisme. La capacité de créer, c’est l’imagination (créer des images), l’intuition. Il est de la nature d’une émotion de ne pas pouvoir se commander. Le cœur ne se voit pas, il vibre. La joie ne supporte pas l’effort. Le trouble dépasse la majesté. Les capacités créatives culminent dans le chef d’œuvre, qui est rare.

Il faut souligner le rôle essentiel de la mémoire. On sait que l’oreille du fœtus commence vers le 6e mois. Il baigne dans le liquide amniotique qui transmet des sons. Depuis notre plus jeune âge, pensons aux milliers de chansons que nous avons mémorisées… La musique est un déclencheur de mémoire. Vous savez sans doute que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer retiennent encore des chansons.

Il faut ajouter les bruits de la nature (eau, vent, chants d’oiseaux etc.) , source sonore infiniment riche et variée.

Pour ce qui concerne les rapports de la mélodie et du langage, il faut parler de Rousseau. Dans l’Essai sur l’origine des langues (1781), au chapitre 13, il écrit que la mélodie prime sur l’harmonie (contre Rameau), car la mélodie vient du langage, qui à la fois le simplifie et l’amplifie. Le langage, ce sont des sons dont l’assemblage crée des mots, puis des concepts. Le « ton » des mots, poésie, éloquence, est proprement musical. Ainsi Liszt trouvait la poésie de Lamartine très musicale. L’homme s’est d’abord servi de sa voix à des fins pratiques. Hegel a dit : « Le son est le frère de l’âme ». Il faut penser à la voix de l’orateur, à la tragédie grecque (personnages, chœur).

Le chant forme l’oreille musicale et l’amour de la mélodie. C’est une forme universelle. On dit « faire chanter son instrument ». Hans von Bülow, gendre de Wagner, écrit : « Qui ne peut pas chanter, (avec une belle voix ou non), ne devrait pas jouer du piano. C’est en chantant qu’on découvre la vérité et le sens d’un morceau. »

C’est vers 3 ou 4 ans qu’on peut commencer une véritable éducation instrumentale. C’est le mouvement mélodique qui provoque les réactions affectives les plus diverses, les plus subtiles, permettant d’atteindre les régions les plus nobles et les plus élevées du sentiment humain.

Il faut parler aussi de la place du corps (danse, mouvement), le rapport à l’univers – on trouve dans beaucoup de mythes créateurs ou de religions une parole, un son, qui crée le monde.

Les neurosciences nous emmènent aujourd’hui très loin dans l’essai de compréhension des émotions. La phénoménale puissance neuronale qui décode les signaux sonores à la vitesse de la lumière… Je suis un grand admirateur des sciences mais je pense qu’il restera toujours une part d’énigme, que l’art a précisément pour fonction d’exprimer.

Reste la beauté sonore. Nietzsche écrit : « Quand j’entends une belle musque, je deviens meilleur, et meilleur philosophe. » Plus l’oreille est sensible et mieux c’est. Il faut chercher une « originalité accessible. » Haydn, un des grands génies de la musique résume parfaitement : « Inventez une belle mélodie et votre musique, quelle qu’elle soit, sera belle et plaira. C’est l’âme de la musique, c’est la vie, c’est l’esprit. »

L’audition intérieure, que beaucoup envient aux musiciens est infinie. Beethoven a dit de la mélodie ; «  C’est le langage absolu par lequel la musique parle à tous les cœurs ». Et Debussy : « On écrit de la musique pour le papier alors qu’on devrait écrire pour l’oreille. »

II – ELEMENTS TECHNIQUES

Partout il y a des intervalles (espaces entre les sons). Mais ils varient selon les cultures : occidentale, orientale, arabe, indienne, etc. On voir bien que l’intervalle est l’élément premier. Un seul intervalle est universel : l’octave. La hauteur peut être divisée très finement : quart de ton, dixième, cinquantième, centième, deux-centième. Pythagore part d’une conception mathématique : les 3/4 d’une corde vibrante donnent la quarte, les 2/3 la quinte.

Les intervalles fondamentaux sont obtenus par le rapport des nombres premiers entre eux. Les intervalles peuvent être ascendants, descendants, conjoints, disjoints. Chaque intervalle a un nom et, plus compliqué, une qualification. L’intervalle contient de la tension (demi-ton, ton, septième majeure, triton) ou de la détente. Il peut être renversé, redoublé – il y a 88 notes dans un piano !

Les échelles sont des suites de notes – gammes, modes – pouvant partir de n’importe quelle note. Il y a les gammes majeures et mineures. En Occident, c’est le majeur qui l’emporte, le mineur est plus complexe. Il y a les modes ecclésiastiques, le mode pentatonique, chromatique, par tons, le mode blues, etc. Il y a les degrés : I, II, III etc.

Avec une note, on ne peut rien faire, avec 2 : 2 mélodies, avec 3 : 6, avec 4 : 24 ! … Il y a les sons harmoniques, supérieurs et inférieurs, que l’on entend dans le son principal.

Il faut ajouter quelques termes : style – chaque mélodie a sa personnalité -, sentiment mélodique – l’ensemble doit être perçu comme un tout –,bel canto, lied, monodie, polyphonie, opéra bien sûr, toutes formes vocales et instrumentales, orchestre – les parties séparées de chaque instrument.

III – QU’EST-CE QUI FAIT UNE BELLE MELODIE, ELEMENTS ESTHETIQUES) ?

Il y a des critères du beau, cela nous ramène aux dialogues de Platon. Kant écrit : « Est beau ce qui plaît universellement et sans concept. » Contrairement à l’agréable, le beau est désintéressé, tout au moins peut-on s’accorder à le penser. Le beau étonne. André Gide écrit : « Je me demande si le propre de l’art n’est pas de surprendre… »

Une belle mélodie reflète l’émotion de celui qui l’a composée. On pourrait dire que l’ensemble de ses mélodies est un portrait du compositeur. L’émotion qu’elle contient suscite la nôtre. On ne saura jamais à quel point un être humain peut être touché musicalement. Emerveillement et consolation.  On la retient. Pourquoi une mélodie aura-t-elle du succès ? La qualité de n’importe quelle musique est son chant, fût il caché.

La musique contemporaine pose problème. La mélodie a disparu, parfois partiellement, parfois totalement… Où retrouver le visage humain ? Le grand pédagogue E. Willems distingue : ouïr (la fonction biologique), entendre et écouter. Ecouter nécessite que nous nous écoutions. Quelqu’un a écrit un jour : « Ecouter, c’est écouter l’autre écouter. »

La conclusion, nous la trouvons dans l’ouvrage « Beethoven » de Brigitte Massin. Elle cite Beethoven lui-même : «  Alors, du foyer brillant de l’enthousiasme, je dois me décharger de la mélodie, elle m’échappe dans tous les sens. Je la poursuis, je l’étreins de nouveau avec passion ; elle fuit et se perd dans le chaos des impressions ; bientôt je la ressaisis avec une passion renouvelée, je ne peux m’en détacher. Il me faut la multiplier dans un spasme d’extase, en toutes les modulations ; et au dernier moment, je triomphe d’elle, je la possède, celle que je poursuivais, la première pensée ! »                         

Discours de réception Académie de Mâcon 2-XII-2022